FAQ

Avec un salaire versé sans condition, qui va avoir le courage de travailler ?

Plutôt que de se perdre dans des débats philosophiques sur le rôle du travail dans les sociétés humaines, observons le comportement des personnes qui ont le choix de ne rien faire : les retraité.e.s.
Beaucoup de retraité.e.s travaillent dans des associations, des mairies, des institutions publiques, etc., et assurent de véritables engagements contraignants. Plus modestement, la plupart tiennent des engagements auprès de leur famille ou de leurs ami.e.s, pour accomplir certaines tâches et se rendre utiles (garder les enfants, les emmener en vacances, faire du bricolage, de la cuisine, etc.). On constate plus généralement que les gens conservent l’envie de se rendre utile aux autres par leur travail, et souvent l’envie de s’engager dans la durée, même quand leur rémunération est garantie sans condition. Bien entendu, certain.e.s retraité.e.s, même en bonne santé, ont perdu toute envie de travailler. Mais c’est souvent à cause d’une vie de souffrance au travail ou parce qu’une pension de retraite trop faible les maintient dans un régime de survie.

Il est donc prouvé à grande échelle que lorsque l’on est rémunéré correctement et que l’expérience du travail est satisfaisante, il n’est pas nécessaire de faire un chantage à la rémunération.

Qui va accepter de faire les tâches rebutantes, comme par exemple ramasser les poubelles ?

Avec un salaire sans condition, il est certain que beaucoup de tâches seraient délaissées. Mais on doit voir ces conséquences comme autant d’opportunités de progrès et non pas comme des difficultés. Qui regrette l’époque où il fallait laver le linge à la main, aller chercher l’eau au puit ou travailler à la chaîne 50 heures par semaine ? Pour aller plus loin et faire disparaître toutes les tâches ingrates sans que ça implique une perte sociale, il existe toujours des solutions. S’agissant des poubelles par exemple, c’est toute la chaîne qu’il est possible de repenser, depuis la production de déchets jusqu’à la valorisation, en passant par le tri et le ramassage, sans que personne n’ait à faire de tâche ingrate. Plus généralement, pour chaque problème il est possible de repenser la répartition des tâches, la rotation des personnes qui en sont chargées (notamment pour les tâches dangereuses, comme dans le domaine du nucléaire par exemple) et surtout il est souvent nécessaire de s’interroger sur leur utilité. Par exemple, si tout le monde dispose d’un salaire sans condition, plus personne n’a intérêt à organiser l’obsolescence programmée, la frénésie des modes ou le marketing agressif. Qui regrettera ces calamités du capitalisme ?

Évidemment, les personnes qui tirent avantage aujourd’hui de l’exploitation des pauvres et obligent des subordonné.e.s à faire des tâches ingrates, verront le salaire à vie comme une régression. Mais ce serait une libération pour une très grande majorité de gens que de pouvoir décider de la façon dont ils ont envie de travailler et pour quoi faire. Un long processus sera nécessaire, bien entendu, et passera par l’éducation à la coopération plutôt qu’à la compétition. Par exemple, les études de médecine devront cultiver l’envie de soigner, au lieu de faire miroiter les fortes rémunérations et le statut de notable. Ainsi, nous agirions à la source des problèmes de santé publique, au lieu de courir sans fin derrière la surconsommation de médicaments, la désertification médicale, les carences de la prévention, etc.

Pourquoi parler de salaire et non pas de revenu ?

Il faut distinguer 4 termes : un gain est une rentrée d’argent quelconque (par exemple, la loterie), alors qu’une rémunération reflète une action faite par le bénéficiaire. Le revenu et le salaire sont deux cas particuliers de rémunérations, rapportables à des activités régulières. Le salaire se distingue du revenu en ce qu’il reflète du travail (alors qu’un revenu peut être généré par des titres de propriété, par exemple). Choisir le terme salaire à vie plutôt que revenu à vie exprime donc qu’on fonde les rémunérations (mensuelles, inconditionnelles et à vie) sur l’existence d’activités considérées socialement comme du travail.

Distribuer des revenus inconditionnels relèverait de la charité institutionnelle, de l’« aide sociale », de l’« assistance », au nom d’un « minimum vital », etc. Distribuer des salaires inconditionnels relève de la reconnaissance pour le travail fait par toutes et tous, et s’inscrit dans une série de droits et de devoirs liés au travail (ses finalités, sa distribution, son organisation, son financement, etc.). Distribuer de simples revenus ne changerait presque rien en termes de droits et devoirs sur le travail, qui serait toujours défini et organisé par des détenteurs de capitaux. Un revenu inconditionnel ne ferait que déplacer certains curseurs, alors que le salaire à vie rebattrait les cartes.

Reconnaître le travail domestique, est-ce que ça inciterait les femmes à rester au foyer ?

On dit parfois que le salaire à vie permettrait de « reconnaître le travail domestique », et alors la question se pose des effets que cela pourrait avoir sur la prise en charge de ce travail dans les familles. Laissons de côté ce débat théorique et regardons ce qui se passerait en pratique : si les adultes du foyer ont chacun.e un salaire à vie, l’effet principal est que ces personnes deviennent réellement libres de s’organiser comme elles le veulent, notamment par rapport aux nécessités d’éduquer les enfants, entretenir la maison (et avant cela : la construire), gérer l’alimentation, etc. Cette liberté acquise par la rémunération personnelle permettrait aux femmes qui, aujourd’hui, se retrouvent chargées seules du travail domestique (y compris la « charge mentale ») de faire valoir leur envie de les répartir autrement. Pour cette lutte spécifique, et plus généralement pour les luttes pour l’égalité, le salaire à vie n’est pas suffisant, mais donnerait aux populations dominées les moyens de leur combat.

Un salaire de quel montant ? Avec quelle fourchette ?

Des calculs ont été faits sur la base d’une proposition syndicale (CGT) d’une échelle globale des salaires allant du facteur 1 jusqu’au facteur 4 (le salaire maximum serait 4 fois supérieur au salaire minimum). Ces calculs prennent comme base la masse salariale totale, qui ne serait pas modifiée mais simplement redistribuée en salaires à vie. On aboutirait alors à un salaire net minimum de 1200€ et à un salaire net maximum de 5000€.

Ces calculs sont seulement indicatifs, et plusieurs facteurs restent inconnus. En particulier, (1) la transition vers un salaire à vie nécessiterait une évolution de la production dans des proportions importantes, qui impacterait probablement la masse salariale totale, (2) la répartition du travail dans les domaines marchand et non marchand évoluerait aussi, ce qui impacterait également la masse salariale et (3) l’échelle de 1 à 4 n’est qu’une première proposition, soumise au débat.

Enfin, si le salaire à vie était d’un montant unique, le calcul fait sur les mêmes bases donne un résultat de 2200€ net.

Comment finance-t-on le salaire à vie ?

Les principes sont simples : le prélèvement à la source (par la généralisation de la cotisation) et le partage des richesses en trois voies de « distribution » : le pouvoir d’achat des citoyens (les salaires à vie), les frais de fonctionnement des services gratuits, et l’investissement. Et à tous les carrefours, des règles communes.

Plutôt qu’un long discours, le plus simple est de suivre le parcours de la monnaie dans le schéma du circuit économique.

Le salaire à vie est-il compatible avec les lois de l’économie ?

L’économie est une discipline des sciences sociales qui étudie les échanges (monétaires, de services, etc.), leurs fondements, leurs natures, etc., dans les sociétés de l’histoire humaine passées, présentes et à venir. Il n’y a pas de loi économique immuable et ceux qui essayent de faire croire que l’économie appartient aux mathématiques appliquées le font parce qu’ils ont intérêt au statu quo. Le salaire à vie permet de mettre l’économie au service d’intérêts humains généraux et d’avancer vers l’égalité des droits (dans les faits et non pas seulement dans les textes). Il n’y a pas de loi économique qui barrerait la route d’une société désirant prendre ce chemin.

Plus techniquement, par rapport aux idées majoritaires en économie, le salaire à vie s’accompagne d’innovations importantes dans l’interprétation des concepts fondamentaux que sont le travail, les richesses, la production, etc. En particulier :

  • Que l’on travaille dans le secteur marchand (ex : un ouvrier, un commerçant) ou non marchand (ex : un enseignant, un médecin hospitalier, etc.), on produit des richesses. Il n’y a pas, d’un côté, un secteur marchand qui produit et, de l’autre, un secteur non marchand qui consomme, mais bien une production de richesses dans les deux secteurs. Cependant, seules les entreprises marchandes peuvent rediriger de la monnaie, notamment vers les salaires (le secteur non marchand ne prélève pas de monnaie, puisque ses services sont gratuits). Donc même si la monnaie ne peut être prélevée (à la source) que dans le secteur marchand, cette monnaie permet de reconnaître le travail effectué par tout le monde. Le salaire à vie ferait ainsi apparaître nettement le fait que les services gratuits ne sont pas une « charge » mais bien une production de richesses.
  • L’investissement ne repose pas nécessairement sur le crédit. La subvention, qui assure une part de l’investissement dans le secteur non marchand (ex : les collectivités locales) mais aussi dans le secteur marchand (ex : le soutien aux politiques industrielles), peut être généralisée, jusqu’à remplacer à terme le mécanisme du crédit. Les avantages sont importants : fin du gâchis que constituent les intérêts d’emprunt et, surtout, mutualisation des gains et des risques de l’investissement. En effet, puisque tout investissement constitue, par définition, un aléa financier, il est préférable de mutualiser les pertes financières dues aux mauvais investissements, mais aussi de mutualiser les gains issus des bons investissements. L’un ne devrait pas aller sans l’autre. Ceci serait possible grâce à la généralisation de la subvention. Le crédit, au contraire, repose sur l’individualisation des risques et des gains (pire encore : avec le crédit, les gains sont toujours captés par quelques-uns, mais les catastrophes financières finissent toujours par être mutualisées !). Le crédit induit nécessairement de mauvais choix d’investissement, car l’intérêt financier sera toujours plus séduisant que l’intérêt productif lui-même, qui est normalement l’objectif de tout investissement. Grâce à la subvention généralisée, la finalité des investissements ne sera plus parasitée par les intérêts de prêteurs. Les investissements seront décidés en fonction de leur intérêt productif et non pas selon des critères financiers.
  • Il n’est pas nécessaire d’être l’employé de quelqu’un pour « travailler » et donc produire des richesses. Travailler dans une association d’intérêt général, par exemple, c’est vraiment travailler. On peut définir le travail (et la reconnaissance du travail par un salaire) sans réelle subordination, c’est-à-dire sans déséquilibre manifeste entre les parties prenantes d’un engagement. En effet, on peut penser la notion d’engagement au travail – et même d’engagement écrit sous la forme d’un contrat – sans que l’un des contractants soit le subordonné de l’autre. Quand un travailleur s’engage vis-à-vis d’un collectif de travail, sa voix peut être respectée dans les décisions stratégiques, puis appliquée par une équipe de direction qui fonctionne comme un exécutif. Dans ce contexte, la production de richesses peut être organisée par des engagements contractuels, peut être reconnue par du salaire, mais sans subordination. La généralisation de ce principe de travail est possible, et permettrait de concilier tous les avantages : des travailleurs respectés et responsabilisés « positivement », une structuration efficace des collectifs de travail, une reconnaissance par (notamment) un salaire, le tout sans subordination.

À noter par ailleurs que toute activité quelle qu’elle soit ne constitue pas du travail et donc de la production de richesses. Par exemple, tondre sa pelouse ne produit rien d’autre que la satisfaction d’avoir un beau jardin. Mais tondre la pelouse d’un ensemble de jardins publics, de façon régulière et dans le cadre d’un collectif, c’est du travail et donc de la production de richesses. Inévitablement, la frontière est floue et la délimitation toujours à renégocier collectivement, entre de ce qui vaut comme du travail et ce qui relève, par exemple, des loisirs.