Le salaire à vie est-il compatible avec les lois de l’économie ?

L’économie est une discipline des sciences sociales qui étudie les échanges (monétaires, de services, etc.), leurs fondements, leurs natures, etc., dans les sociétés de l’histoire humaine passées, présentes et à venir. Il n’y a pas de loi économique immuable et ceux qui essayent de faire croire que l’économie appartient aux mathématiques appliquées le font parce qu’ils ont intérêt au statu quo. Le salaire à vie permet de mettre l’économie au service d’intérêts humains généraux et d’avancer vers l’égalité des droits (dans les faits et non pas seulement dans les textes). Il n’y a pas de loi économique qui barrerait la route d’une société désirant prendre ce chemin.

Plus techniquement, par rapport aux idées majoritaires en économie, le salaire à vie s’accompagne d’innovations importantes dans l’interprétation des concepts fondamentaux que sont le travail, les richesses, la production, etc. En particulier :

  • Que l’on travaille dans le secteur marchand (ex : un ouvrier, un commerçant) ou non marchand (ex : un enseignant, un médecin hospitalier, etc.), on produit des richesses. Il n’y a pas, d’un côté, un secteur marchand qui produit et, de l’autre, un secteur non marchand qui consomme, mais bien une production de richesses dans les deux secteurs. Cependant, seules les entreprises marchandes peuvent rediriger de la monnaie, notamment vers les salaires (le secteur non marchand ne prélève pas de monnaie, puisque ses services sont gratuits). Donc même si la monnaie ne peut être prélevée (à la source) que dans le secteur marchand, cette monnaie permet de reconnaître le travail effectué par tout le monde. Le salaire à vie ferait ainsi apparaître nettement le fait que les services gratuits ne sont pas une « charge » mais bien une production de richesses.
  • L’investissement ne repose pas nécessairement sur le crédit. La subvention, qui assure une part de l’investissement dans le secteur non marchand (ex : les collectivités locales) mais aussi dans le secteur marchand (ex : le soutien aux politiques industrielles), peut être généralisée, jusqu’à remplacer à terme le mécanisme du crédit. Les avantages sont importants : fin du gâchis que constituent les intérêts d’emprunt et, surtout, mutualisation des gains et des risques de l’investissement. En effet, puisque tout investissement constitue, par définition, un aléa financier, il est préférable de mutualiser les pertes financières dues aux mauvais investissements, mais aussi de mutualiser les gains issus des bons investissements. L’un ne devrait pas aller sans l’autre. Ceci serait possible grâce à la généralisation de la subvention. Le crédit, au contraire, repose sur l’individualisation des risques et des gains (pire encore : avec le crédit, les gains sont toujours captés par quelques-uns, mais les catastrophes financières finissent toujours par être mutualisées !). Le crédit induit nécessairement de mauvais choix d’investissement, car l’intérêt financier sera toujours plus séduisant que l’intérêt productif lui-même, qui est normalement l’objectif de tout investissement. Grâce à la subvention généralisée, la finalité des investissements ne sera plus parasitée par les intérêts de prêteurs. Les investissements seront décidés en fonction de leur intérêt productif et non pas selon des critères financiers.
  • Il n’est pas nécessaire d’être l’employé de quelqu’un pour « travailler » et donc produire des richesses. Travailler dans une association d’intérêt général, par exemple, c’est vraiment travailler. On peut définir le travail (et la reconnaissance du travail par un salaire) sans réelle subordination, c’est-à-dire sans déséquilibre manifeste entre les parties prenantes d’un engagement. En effet, on peut penser la notion d’engagement au travail – et même d’engagement écrit sous la forme d’un contrat – sans que l’un des contractants soit le subordonné de l’autre. Quand un travailleur s’engage vis-à-vis d’un collectif de travail, sa voix peut être respectée dans les décisions stratégiques, puis appliquée par une équipe de direction qui fonctionne comme un exécutif. Dans ce contexte, la production de richesses peut être organisée par des engagements contractuels, peut être reconnue par du salaire, mais sans subordination. La généralisation de ce principe de travail est possible, et permettrait de concilier tous les avantages : des travailleurs respectés et responsabilisés « positivement », une structuration efficace des collectifs de travail, une reconnaissance par (notamment) un salaire, le tout sans subordination.

À noter par ailleurs que toute activité quelle qu’elle soit ne constitue pas du travail et donc de la production de richesses. Par exemple, tondre sa pelouse ne produit rien d’autre que la satisfaction d’avoir un beau jardin. Mais tondre la pelouse d’un ensemble de jardins publics, de façon régulière et dans le cadre d’un collectif, c’est du travail et donc de la production de richesses. Inévitablement, la frontière est floue et la délimitation toujours à renégocier collectivement, entre de ce qui vaut comme du travail et ce qui relève, par exemple, des loisirs.